AgendaBelgiqueCulturesEconomie

Abattage rituel 2018 : la Flandre et la Wallonie ne respectent pas la jurisprudence européenne !

La Cour confirme que les abattages rituels sans étourdissement ne peuvent avoir lieu que dans un abattoir agréé

 Cette obligation n’enfreint pas la liberté de religion étant donné qu’elle vise uniquement à organiser et encadrer le libre exercice de l’abattage rituel, en tenant compte des règles essentielles concernant la protection du bien-être des animaux et de la santé des consommateurs de viande animale

La fête musulmane du sacrifice est célébrée chaque année durant trois jours. Un nombre élevé de musulmans pratiquants considèrent qu’il est de leur devoir religieux d’abattre ou de faire abattre, de préférence le premier jour de cette fête, un animal dont la viande est par la suite mangée en famille et partagée avec des personnes défavorisées, les voisins et les membres de la famille plus éloignée. Il existerait un consensus partagé par la majorité de la communauté musulmane de Belgique, exprimé par le Conseil des théologiens au sein de l’exécutif des musulmans, pour considérer que cet abattage doit avoir lieu sans étourdissement préalable des animaux et en tenant compte des autres prescriptions du rite.

À compter de 1998, la réglementation belge prévoyait que les abattages prescrits par un rite religieux ne pouvaient être effectués que dans des abattoirs agréés ou temporaires. Ainsi, le ministre compétent a agréé chaque année des sites d’abattage temporaires qui, avec les abattoirs agréés, ont permis de procéder aux abattages rituels lors de la fête musulmane du sacrifice, palliant ainsi le manque de capacité des abattoirs agréés lié à la hausse de la demande pendant cette période.

En 2014, le ministre de la Région flamande en charge du bien-être des animaux a annoncé qu’il ne délivrerait plus d’agréments à des sites d’abattage temporaires au motif que de tels agréments seraient contraires au droit de l’Union, notamment aux dispositions d’un règlement de 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort. À partir de 2015, tous les abattages d’animaux sans étourdissement, même ceux ayant lieu dans le cadre de la fête musulmane du sacrifice, devaient ainsi être effectués uniquement dans les abattoirs agréés. C’est dans ce contexte que diverses associations musulmanes et organisations faîtières de mosquées ont cité la Région flamande en justice en 2016. Elles ont notamment mis en cause la validité de certaines dispositions du règlement, eu égard en particulier à la liberté de religion. Le Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg Brussel (tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique), saisi de l’affaire, a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Dans son arrêt d’aujourd’hui, la Cour de justice précise tout d’abord que l’abattage rituel relève bien de la notion de « rite religieux » au sens du règlement. Partant, il relève du champ d’application de la liberté de religion garantie par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. D’éventuelles divergences théologiques sur ce sujet ne peuvent, en elles-mêmes, infirmer cette qualification en tant que « rite religieux ».

Ensuite, la Cour examine si le règlement constitue ou non une limitation du droit à la liberté de religion. Elle rappelle que, dans l’Union, en tant que principe général, les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement. À titre dérogatoire, la pratique de l’abattage rituel sans étourdissement préalable est autorisée, pour autant qu’il ait lieu dans un abattoir agréé par les autorités nationales compétentes et respectant les exigences techniques relatives à la construction, à la configuration et à l’équipement (ces exigences figurent dans un autre règlement de l’Union).

La Cour précise que cette dérogation n’interdit nullement l’exercice de la pratique de l’abattage rituel dans l’Union, mais qu’elle concrétise, au contraire, l’engagement positif du législateur de l’Union de permettre la pratique de l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable afin d’assurer le respect effectif de la liberté de religion, notamment des musulmans pratiquants, pendant la fête du sacrifice.

Ainsi, l’obligation d’effectuer l’abattage rituel dans un abattoir agréé vise uniquement à organiser et encadrer, d’un point de vue technique, le libre exercice de l’abattage sans étourdissement préalable à des fins religieuses. Un tel encadrement technique n’est pas, en soi, de nature à entraîner une limitation du droit à la liberté de religion des musulmans pratiquants.

En effet, l’abattage rituel est soumis au respect des mêmes conditions techniques que celles qui s’appliquent, en principe, à tout abattage d’animaux à l’intérieur de l’Union, indépendamment de la méthode suivie.

En outre, le législateur de l’Union a concilié le respect des méthodes particulières d’abattage prescrites par les rites religieux avec celui des règles essentielles établies par les règlements de l’Union quant à la protection du bien-être des animaux lors de leur mise à mort et de la santé des consommateurs de viande animale.

La Cour examine enfin les considérations liées au fait que les abattoirs agréés, situés sur le territoire de la Région flamande et conformes aux exigences du règlement, ne fournissent pas une capacité d’abattage suffisante pour répondre à la hausse de la demande de viande halal observée pendant la fête du sacrifice.

La Cour rappelle à cet égard que la validité d’un acte de l’Union doit être analysée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté et qu’elle ne saurait dépendre des circonstances particulières d’un cas d’espèce donné. En effet, la problématique mise en exergue par le juge belge concernerait uniquement un nombre limité de communes de la Région flamande. Cette problématique ne saurait dès lors être considérée comme intrinsèquement liée à l’application, dans toute l’Union, d’une règle établie. Un problème ponctuel de capacité d’abattage sur le territoire d’une région d’un État membre, lié à la hausse de la demande d’abattages rituels en l’espace de quelques jours à l’occasion de la fête du sacrifice, est la conséquence d’un concours de circonstances internes qui ne peuvent affecter la validité du règlement.

 La Cour conclut que son examen n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement au regard de la liberté de religion garantie par la Charte.

Erkan Ozdemir / La Manchette