Négation du génocide arménien : le CdH convoitera t-il encore la communauté turque de Belgique ?
Plus les instances législatives belges produisent, plus l’opinion publique a l’impression de ne plus vivre en Belgique.
Paradoxalement, les sujets les plus sensibles d’un point de vue communautaire sont discutés et parfois même votés au niveau régional ou encore fédéral selon les compétences attribuées.
Par exemple, on peut prendre le choix assez ahurissant de vouloir traiter un sujet comme l’abattage rituel au niveau des parlements régionaux. Tout ceci au nez et à la barbe d’une liberté fondamentale qu’est le celle du culte.
Comment pourrait-on dès lors faire prévaloir la séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Le Centre d’Action Laïque rappelle à juste titre d’ailleurs que : « L’impartialité des autorités publiques repose sur la construction d’une sphère publique commune neutre, en dehors du champ d’influence des religions ou des philosophies. »
Encore plus sensible, on pourrait extrapoler ce sujet sur des faits historiques. Par exemple, la Belgique reconnait désormais le génocide arménien.
« La résolution, votée par l’ensemble des députés présents moins huit abstentions, ne reconnaît pas explicitement le caractère de génocide aux massacres et déportations d’Arméniens dans l’Empire ottoman qui ont fait plus de 1,5 million de morts, selon l’Arménie.
Le texte demande ainsi prudemment au gouvernement belge de « reconnaître que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable du drame vécu par les Arméniens de l’Empire ottoman ». Elle ne vise « pas le peuple turc, ni les Turcs de Belgique », a insisté M. Ducarme. » (Le Monde, 24 juillet 2015).
Geoffrey Grandjean, politologue aspirant du FNRS à l’ULG et spécialiste des lois mémorielles indiquait : « Il y a trois raisons principales (ndlr : de la difficulté de ce dossier). Premièrement, certains remettent en cause la légitimité des parlementaires belges à légiférer sur un fait passé, dans lequel la Belgique n’était pas impliquée. Ensuite, une telle décision pourrait limiter la liberté d’expression et les travaux des historiens sur la question. Enfin, il y a les pressions de la Turquie… » (L’Avenir, 24 décembre 2011).
Pour en revenir au sujet qui nous occupe, aujourd’hui, c’est la célèbre date de la commémoration des massacres perpétrés dans le cadre du génocide arménien, il y a plus d’un centenaire.
Et comme déjà annoncé à de multiples reprises dans la presse, il est prévu, que ce mercredi 24 avril, la Chambre adopte une proposition de loi dont les protagonistes principaux sont des députés MR.
Le MR a vite été rejoint par le CD&V, la NVA et l’Open VLD.
La portée de ce texte en question se cloisonnait à la « Pénalisation de toute dénégation, minimisation ou tentative de justification des génocides (des crimes de guerre et contre l’humanité) reconnus par une juridiction internationale. »
Ce texte vise donc les génocides rwandais et de Srebrenica. Le génocide arménien, pas encore statué par une instance juridictionnelle internationale, n’entre donc pas dans le champ d’application de cette proposition de loi.
Cela a eu pour conséquence de faire monter la communauté arménienne de Belgique au créneau et par la même le député fédéral et membre de la commission Justice Christian Brotcorne (CdH). Ce dernier entreprend le labeur de déposer un amendement afin d’inclure le génocide arménien dans le diamètre d’action de cette proposition de loi.
La manœuvre électorale du CdH est à double-tranchant et dans le même temps assez fine. Il s’agit de privilégier son électorat arménien au détriment de la communauté turque de Belgique qui, quant à elle, en a déjà gros sur le cœur par l’exclusion de Mahinur Ozdemir.
Partant de ce postulat, on pourrait intensifier la chose en disant que, comme la communauté turque de Belgique est déjà quasi une cause perdue électoralement, le curseur devrait se déplacer en faveur de celle arménienne.
Rappelons tout de même que les parlements français et danois avaient déjà refusé un pareil texte de la criminalisation du déni du génocide arménien par ces moyens :
En troisième lieu, et compte tenu de ce qui est rappelé au paragraphe précédent, le seul effet des dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173 est d’imposer au juge, pour établir les éléments constitutifs de l’infraction, de se prononcer sur l’existence d’un crime dont la négation, la minoration ou la banalisation est alléguée, alors même qu’il n’est pas saisi au fond de ce crime et qu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur les faits dénoncés comme criminels. Des actes ou des propos peuvent ainsi donner lieu à des poursuites au motif qu’ils nieraient, minoreraient ou banaliseraient des faits sans pourtant que ceux-ci n’aient encore reçu la qualification de l’un des crimes visés par les dispositions du dernier alinéa du 2° de l’article 173. Dès lors, ces dispositions font peser une incertitude sur la licéité d’actes ou de propos portant sur des faits susceptibles de faire l’objet de débats historiques qui ne satisfait pas à l’exigence de 41 proportionnalité qui s’impose s’agissant de l’exercice de la liberté d’expression. »
Enfin, à cet égard, le ministre de la justice Koen Geens a rappelé que « le génocide arménien ne relève pas du champ d’application de cette loi, car il ne fait pas l’objet d’une décision rendue par une juridiction internationale ».
Donc, quitte à jouer ce coup de poker électoral, le CdH n’aurait il pas mieux fait de ne pas inclure des candidats d’origine turque dans ces listes ?
Erkan Ozdemir / La Manchette