Rachid Haddach, témoignage à coeur ouvert par Yacob Mahi
Dans la contuinité des articles intemporels en hommage à Rachid Haddach, voici le témoignage à coeur ouvert du théologien Yacob Mahi.
En effet, il nous semblait nécessaire d’avoir son récit authentique commémorant la personnalité de Haddach duquel il était proche.
« En son nom l’Exalté, Dieu le Vivant l’Absolu,
Après le décès du prédicateur sans relâche, Rachid Haddach (+2020), que Dieu le couvre de Sa clémence, je ne peux que saluer la mémoire d’un homme au parcours prolifique. Lui rendre un authentique hommage, c’est avant tout exprimer ma considération à l’égard de l’humain, du compagnon de route, de l’ami et du frère en Dieu que j’ai connu.
Méditer sur le départ d’un proche vers l’éternité n’est jamais aisé. Dans ces instants de profondeur et de fragilité, se contemple la légèreté de la vie face à la lourdeur du destin. La vie est une passoire, un filtre de choix de liberté, par lequel on se purifie de l’histoire, pour mourir en l’éternité. Elle blesse et forge dans l’épreuve, afin de l’investir en opportunité.
Le Coran enseigne que le sens réel de la vie transcende l’être, « Nous appartenons à Dieu, et c’est vers Lui que nous retournerons », (II-156). Cela éveille le nécessaire souvenir de la mort, sans morbidité aucune, car il est vital de méditer sur la signification la plus haute qu’elle donne à la vie.
En effet, « mourir, c’est aspirer à ce qui nous dépasse pour faire don de
soi, afin que puisse perdurer le dessein de la création, et offrir à la vie un élan nouveau auquel nous aurions contribué », tel l’enseignait le Pr Roger Garaudy (+2012), paix à son âme. Sur les bancs de la quête du savoir religieux et de l’éducation spirituelle, auprès de mon Maitre spirituel l’imam Sadek Charaf (+1993), sainteté sur son âme, j’expérimente le chemin de la vie pour me former et mûrir.
Par souci de sagesse, des années plus tard, il m’initie à la quête de la pluralité de sens,
de lectures et de disciplines auprès de divers enseignants, et c’est alors que je fais connaissance en 1984, de Rachid avec
d’autres compagnons de route, lors de leçons du cheikh Mohamed Toujgani, que Dieu le préserve, tant à la mosquée
Motaquine, qu’aux cours particuliers à domicile. Rachid se formera en 84-85 au sein de la mosquée Sunna, où enseignait
tant cheikh Ahmed Mouedden (+2018), que Abdessalam Kharraz (+2019), que Dieu leur fasse miséricorde.
Dès l’année académique 88-89, il rejoindra l’Institut Européen des Hautes Etudes Islamiques où, à travers les cours de cheikh Mohamed Saghir, du Pr Yahya Michot et de cheikh Ahmed Manzor, que Dieu les préserve, durant une année
préparatoire, il s’investira dans la voie de la formation. En 89-90, il suivra les cours de la 1ère année en sciences islamiques auprès des shuyukh Mahmoud Azzoum, Fathi Darwish, Mohamed Ghounaym, Hassan Ibn Seddiq (+2010) et
Sadek Charaf, que Dieu leur fasse miséricorde, de cheikh Mahmoud Moujahed et de cheikh Abdellah Al Moudni, que Dieu les préserve. C’est au sein de la mosquée Al Khalil qu’il poursuit alors sa quête de savoir avec cheikh Toujgani.
Ensuite, encore jeunes, lors de nos premières conférences communes débuts des années 90, malgré une approche et
une vision différente, je ne peux nier la force de caractère qui se dégageait de sa personnalité, ni le courage avec lequel
il défendait ses idées, ni même son dévouement avec fidélité à ses convictions.
En 94, il rejoindra le Comité des Jeunes
du Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique, sous la présidence du Dr Didier Yacine Beyens, que Dieu le préserve.
En 97-98, il intégrera auprès du Pr Tariq Ramadan, que Dieu lui accorde grâce, santé et élève sa dignité, la dynamique
Présence Musulmane.
Voilà le parcours formatif que j’ai pu partager à ses côtés, et autour duquel nous avions maintenu le pivot de notre relation. On peut ne pas partager avec Rachid ses prises de positions, ses lectures ou ses choix doctrinaux, mais nul ne niera son charisme, sa force de caractère, son courage, son humilité, sa bonne humeur, sa joie de vivre et son humour.
Constamment généreux du souci permanent de transmettre des connaissances et d’accompagner vers la guidance, son espérance était d’annoncer le Coran à l’être irréligieux. Il parcourait la Belgique, la France et le Luxembourg avec détermination, donnait des causeries religieuses et animait des rencontres en assumant ses choix avec courage.
Beaucoup l’ont apprécié alors, car là où certains sombrent dans la soif de la renommée et de l’arrogance, lui a perduré dans la simplicité. De tous les combats, il s’est oublié dans l’insuffisance de ses besoins et de ses droits, malgré les embuches et les peines subies au sein de mosquées, et la détresse due à l’ingratitude de certains.
Il a relativisé ses souffrances face aux attentes d’autrui avec pudeur. Près de 30 ans durant, il aura marqué des cœurs et
des esprits. Investi d’un engagement dans la voie du témoignage de sa foi, da’wa, il s’est voué au service des personnes
en quête de solutions religieuses dans les divers aspects de leur vie. Il marqua alors, de par ses causeries, un levier contre la misère religieuse, dont la voix de ses discours est le meilleur témoin.
Du vivant d’un être, on perçoit rarement
la portée de son engagement, et ce n’est que lors de son départ vers l’Eternel que l’on entrevoit sa valeur, car la contemporanéité est souvent un voile. Sa lutte courageuse et incessante contre la maladie alors, dans la foi et la sérénité,
aura été à valeur initiatique. Le Prophète Mohamed (570-632), sur lui et sa sainte famille la paix et les salutations de
Dieu dit, selon l’Imam Ali (661), sur lui la paix : « Lorsque Dieu aime un serviteur, Il l’éprouve, s’il patiente Il le rapproche,
et s’il agrée le destin, Il le purifie », rapporté par Daylami (+1115) dans Musnad Al Firdaws, et relaté par l’Imam Al Ghazâli (+1111) dans Ihyâ Ulûm ad-Dîn. Rachid aura gagné en dignité, par le rapport à Dieu dans la patience et l’humilité.
Lors de notre dernier échange, entouré de ses proches et amis, je n’arrivais pas à croiser l’expression de son regard amical
qui perçait mon cœur. Il me murmura les derniers mots qui m’étaient destinés, avec un sourire fraternel, une poignée
de main chaleureuse et une accolade complice qui exprimaient un adieu aurevoir.
Digne dans son combat de bon vivant, jusqu’au bout dans le sillage de la mort, enterré à même le sol dans un linceul, à Bruxelles, il aura été, et restera une figure qui aura marqué le temps et l’espace de ce « plat pays qui est le mien », tel chantait Jacques Brel (+1978), que Dieu lui fasse miséricorde. Une réelle communion spirituelle rayonnait lors des funérailles de Rachid, où beaucoup se sont recueillis, ont prié, pleuré et exprimé une émotion d’amour, de fraternité et d’espérance en Dieu. Suite aux divers témoignages entendus, il aura été une personnalité forte et aimante de ses élèves, tout comme il était aimé en retour par ces derniers, dont il a pu toucher, à travers leur trajectoire, l’attention et l’aspiration. Avec l’intime souvenir de sa présence, il reste aujourd’hui de lui, ses mots et souvenirs. Et tel l’enseignent les maitres soufis, « la voie n’accueille pas celui qui aura précédé, mais celui qui sera nourri de sincérité ».
En hommage à l’homme qui a, toute sa vie durant, témoigné de la culture du rappel de Dieu, je salue la mémoire d’un être incarnée dans l’action, et je présente à ses
proches, à la Belgique et à la communauté musulmane, mes sincères condoléances.
Ma prière est à l’intensité de mon respect à sa mémoire. Que Dieu Le Majestueux, l’agrée et l’accueille dans Sa miséricorde destinée aux humbles amants du bien, où bénie est l’âme des vertueux, des justes et des véridiques. Qu’Il lui pardonne ses manquements, et que Rachid
puisse trouver le réconfort de son espérance en la grâce de Dieu dans Son paradis, « Et Dieu invite à la demeure de la Paix », (X, 25). Inshâ Allâh. Amen !
Yacob MAHI, Théologien, Islamologue, Dr en Histoire et Sciences des Religions