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La Taxe Kilométrique Bruxelloise, juridiquement impossible !

Evidemment, il y a des sujets qui fâchent.

Parmi ceux-ci, nous pouvons clairement intégrer la taxe kilométrique bruxelloise. Plusieurs récupérations politiques et tentatives de diversion sont réalisées ces derniers temps.

Mais, une chose est claire. Selon des moyens juridiques, cette taxe est impossible juridiquement pour le moment !

En effet, plusieurs atteintes juridiques à des textes belges voire européens sont décelés et la mouture actuelle du texte ne pourra en aucun cas atteindre une finalité réaliste.

Pour le moins, une taxe bruxelloise dans cette version donc sans un accord de coopération entre Régions, n’est pas sérieuse du tout !

Voici, les moyens juridiques invoqués :

  •  l’article 170, § 2 de la Constitution garantit à la Région la levée d’impôts en pleine autonomie sur toute matière opportune sauf:
    • la Constitution reprend aussi des exceptions établies par la loi fédérale dans les cas qui sont jugés nécessaires par le législateur fédéral. La primauté du fédéral est établie en matière fiscale
  • la règle de non-concurrence dans la taxation est à l’avantage du fédéral. Il s’agit d’une règle que l’on qualifie de “non bis in idem” (interdiction de lever deux taxes sur la même chose, sur la même matière).
  • loi spéciale de financement du 16 janvier 1989, art. 11 : “les Communautés et les Régions ne sont pas autorisées à lever des impôts dans les matières qui font l’objet d’une imposition visée par la présente loi (ndlr loi fédérale).” 
  • Cour Constitutionnelle : ” les matières doivent se comprendre comme des faits générateurs, les événements qui donnent lieu à la perception d’impôts. Si l’Etat a déjà taxé un événement particulier, la Région ne peut pas le taxer non plus”
    • pour la taxe de circulation, le Code des taxes assimilées à l’impôt sur les revenus dit que ce fait générateur est l’inscription du véhicule au répertoire matricule (l’immatriculation du véhicule à la DIV). Le redevable est la personne qui utilise le véhicule.
    • le fait générateur de la taxe kilométrique est la circulation des véhicules sur certaines voiries de la Région de Bruxelles-Capitale, celles qui feront partie du périmètre payant.
    • Mais l’immatriculation du véhicule est l’autorisation qui permet de rouler le véhicule sur les voiries publiques.
    • Or, sur base de ces faits générateurs, on peut résumer qu’il s’agit du même fait qu’avec la Taxe Kilométrique (rouler sur les voiries publiques du Bruxelles!)  La seule différence est donc géographique. La taxe de mise en circulation est de payer une taxe pour circuler sur les voies publiques du Royaume, et de l’autre côté, vous devriez payer une taxe pour le même véhicule, pour circuler sur certaines voies publiques de la Région. Donc, un conducteur wallon ou flamand devra payer une taxe fédérale et une taxe bruxelloise pour le même fait générateur !
  • Art. 3 loi spéciale de financement du 16 janvier : “le législateur spécial a décidé que désormais les Régions sont compétentes pour modifier le taux, la base imposable, les exonérations d’anciens impôts nationaux.” Donc, aucune mention n’est faite pour ajouter une taxe initialement prélevée par le fédéral pour les véhicules !
  • Art. 170 Constitution : “pour tous les cas qui ne sont pas visés par la loi spéciale de financement, de toutes façons, les Régions ne peuvent pas établir d’impôt sur des matières qui sont déjà taxées par le fédéral.”
  • Compétence territoriale de la Région de Bruxelles-Capitale : la Région ne peut lever des impôts qui produisent des effets en dehors de la Région des 19 communes de Bruxelles.
  • Art. 92bis de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980: “si deux Régions veulent ensemble exercer leur compétence, chacune apportant sa propre compétence, il faut faire un accord de coopération”. Autant le dire tout de suite, aucun accord de coopération interrégional ne sortira sur la taxe kilométrique !
  • le respect de la règle d’égalité fiscale et des principes de droit européen : “on va exempter les Bruxellois et ce sont uniquement les extérieurs qui rentrent dans la ville qui vont payer !”
    • respect du principe d’égalité et de non-discrimination prévu en droit européen n’est pas respecté ! Il faudra trouver une justification qui soit objective et raisonnable si l’on veut décider que les Bruxellois ne doivent pas payer. Par rapport aux objectifs de la taxe, comment pourrait-on justifier une telle exemption? Si le but est de décongestionner, de protéger l’environnement, pourquoi les Bruxellois ne devraient-ils pas payer comme les autres ?
    • une entrave discriminatoire à la libre circulation des marchandises et des personnes, qui est un principe de droit européen, et qui est aussi « transposé » dans la loi spéciale de réformes institutionnelles que les Régions doivent respecter lorsqu’elles font, notamment, des impositions.
  • loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée : l’accès au fameux registre d’immatriculation de la DIV sera obligatoire afin d’identifier le propriétaire d’un véhicule. Même si l’Arrêté Royal du 20 juillet 2001 prévoit des cas d’exceptions :
    • on peut demander l’accès à la DIV « en vue de identification de la personne physique ou morale pour laquelle sont dues les taxes liées à l’utilisation d’un véhicule automobile ». L’accord du fédéral doit évidemment figurer dans la constitution de la taxe kilométrique bruxelloise. 

Donc, on comprend tout de suite que, d’après tous ces moyens juridiques, la taxe kilométrique est clairement impossible dans la mouture actuelle des choses. Et, que toutes les réformes institutionnelles que la taxe engendrait serait tout simplement impensables !

Erkan Ozdemir / La Manchette