« Le PYD/PKK et les Etats-Unis ont permis à Daech de fuir à 3 reprises » (interview/Talal Silo)
« Le PYD/PKK et les Etats-Unis ont permis à Daech de fuir à 3 reprises » (interview/Talal Silo)
– Talal Silo, ancien porte-parole des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une entité qui sert de paravent aux activités de l’organisation terroriste PYD/PKK en Syrie, a accordé une interview à l’AA dont voici la troisième et dernière partie.
AA – Ankara
Après avoir occupé un certain temps le poste de porte-parole des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une entité qui sert de paravent aux activités de l’organisation terroriste PYD/PKK en Syrie, Talal Silo, aujourd’hui réfugié en Turquie, a affirmé que cette dernière a conclu à plusieurs reprises des accords avec Daech, avec l’accord des Etats-Unis, pour permettre l’évacuation et la fuite des membres de l’organisation terroriste.
Talal Silo, qui entretenait des relations étroites avec de hauts responsables de l’YPG, la branche armée du PYD/PKK en Syrie, a accordé une interview à Anadolu (AA) au cours de laquelle il revient sur les accointances de l’YPG avec les Etats-Unis.
Dans cette dernière partie de l’interview exclusive, Silo est revenu sur le soutien militaire des Etats-Unis au PYD/PKK et des accords conclus dans le cadre de la prétendue lutte contre Daech.
Agence Anadolu (AA) : Comment a eu lieu votre premier contact avec les Américains ?
Talal Silo (TS) : (Une fois nommé porte-parole des Forces démocratiques Syriennes FDS) Ils ont demandé à me rencontrer en dehors de la Syrie. Ils sont venus me chercher avec un appareil qui ressemblait à un hélicoptère et ils m’ont emmené à Erbil (nord de l’Irak). Je suis resté pendant deux jours dans la base militaire américaine qui se trouve à l’aéroport d’Erbil. Nous avons discuté de la coordination des activités et de la stratégie média. Nous avons défini la liste des médias qui soutiennent les FDS et avec lesquelles nous pourrions faire des interviews.
AA : Avez-vous directement rencontré des hauts responsables américains ?
TS : Les rencontres se faisaient en direct, sans intermédiaires, et j’ai participé à ces réunions. J’étais présent lors des entretiens avec Brett McGurk (Représentant Spécial américain pour la lutte contre Daech), le Général Stephen Townsend (Commandant des forces communes de l’opération Détermination Naturelle de de la Coalition İnternationale anti-Daech dirigée par les Etats-Unis) et du Commandant Votel de la CENTCOM (commandement central des forces américaines). Les participants des FDS étaient choisis par Sahin Cilo (commandant en chef des FDS, membre de l’YPG). Je participais à toutes les rencontres qui se faisaient dans la base de Jalabiyah. Nous avons eu une réunion avec des représentants du Département américain d’Etat. Il y avait une coordination totale entre Cilo et les autorités américaines.
AA : Pourquoi avez-vous inclus dans la carte de la Syrie présente sur l’emblème des FDS, la province turque de Hatay ?
TS : Cilo nous a dit : « La Syrie a été fondée avec un sacrifice (Hatay dans les frontières turques). Mais nous n’avons pas abandonné cet objectif ». Ces paroles ont été dites dans une réunion que nous avons tenue dans les bureaux de l’YPG à Hasseké.
AA : En tant que porte-parole des FDS, comment déterminiez-vous les sujets sur lesquels vous alliez intervenir ?
TS : C’est Cilo qui a demandé ma nomination à ce poste. Une fois nommé, Bahoz Erdal (le responsable du PKK pour la Syrie de l’époque) m’a invité à déjeuner à Karacok. On a évoqué tous les sujets, il m’a offert une arme. C’est Cilo qui donnait l’ordre de faire une déclaration au nom des FDS. Il me faisait parvenir le contenu du texte (des déclarations) via Whatsapp ou Viber (applications mobiles) que je rédigeais ensuite. Quand Bahoz Erdal est parti (de Qandil) c’est Nureddin Sofi qui l’a remplacé. En tant que supérieur de Cilo, il contrôlait aussi le contenu des déclarations. Je devais tout faire valider par lui, même les messages de condoléances. C’est Cilo qui m’a remis le message de libération de Raqqa que j’ai lu, mais je ne pense pas qu’il l’ait écrit lui-même, il n’avait pas cette capacité.
AA : Y-at-il eu des demandes des Américains pour des déclarations ?
TS : Ils nous ont demandé de condamner une explosion en Turquie et aussi de déclarer que les FDS n’ont aucun lien avec le PKK. C’est Cilo qui m’a remis le texte. Quand je lui ai demandé les raisons de cette déclaration, Cilo m’a dit : « Les Etats-Unis l’ont demandée. De cette manière, nous allons montrer que nous (FDS) n’avons pas de liens avec le PKK ». En réalité, mon rôle n’était que démonstratif.
AA : Comment se faisaient les contacts entre les FDS et les cadres du PKK (Qandil) ?
TS : Sahin Cilo, qui était pourtant commandant en chef des FDS, n’avait en réalité aucun poids. Tous les ordres venaient de Bahoz Erdal. Bahoz recevait lui les ordres de Sabri Ok (cadre supérieur du PKK/KCK). Il m’a fallu deux ans pour comprendre ces relations, ça n’a pas été facile. Je devais participer aux réunions qu’ils tenaient avec les Américains, j’étais aussi présent lors des livraisons d’armes. C’est grâce à cela que j’ai gagné leur confiance. Je connaissais tous leurs secrets personnels. Le PKK prend des décisions dans les domaines militaires, civils et économiques pour la région. Ces décisions sont prises à Qandil, les autres sont chargés de les appliquer.
AA : Comment le PYD/PKK, sous l’emblème des FDS, a commencé à bénéficier des aides militaires des Etats-Unis ?
TS : Les livraisons d’armes américaines se poursuivent depuis la création des FDS. Avant les armes étaient parachutées à destination de l’YPG. Une fois les FDS créées, le mot « kurde » ne devait plus être cité concernant les livraisons d’armes. J’ai aussi reçu des armes, mais c’était des armes légères de fabrication russe. Quand les FDS ont été créées, une délégation américaine est venue. Ils ont enregistré les photos et les empreintes digitales et rétiniennes des membres du conseil militaire des FDS.
Quand les Américains sont venus pour la première fois sur le terrain, ils se sont installés sur une petite base, Istirahet el-Vezir, entre Hasseké et Tel Temr. Ils y ont construit une piste pour hélicoptères. Ils ont ensuite construit une nouvelle base pas très loin à Tel Beyder, sur la route de Dirbasiye. Il y avait aussi une piste d’hélicoptère. Ils nous donnaient des armes depuis cette base. D’autres armes provenaient aussi d’Irak via le poste-frontière de Simelka.
Ensuite la base de Jalabiyah est entrée en service. C’était une ancienne cimenterie du groupe français Lafarge qui se trouvait à Sirrin entre Ayn Isa et Karakozak. Ils y ont construit une grande base militaire américaine. C’est le dépôt principal de toutes les aides destinées aux FDS. Une fois la base de Jalabiyah ouverte, les aides ont nettement augmenté. Quand Trump est arrivé au pouvoir, le soutien a été total. Des centaines de camions sont arrivés via le poste-frontière de Simelka. Tous allaient à Jalabiyah. Officiellement ces armes allaient aux FDS mais en réalité elles allaient au YPG.
A l’entrée de la base de Jalabiyah, il y a un représentant du YPG qui s’Appelle Hemin. Il assure la coordination. Que ce soit des armes ou des véhicules, c’est lui qui intercepte les livraisons. Parfois, il les entreposait dans la base de Jalabiyah, parfois dans la base principale qui se trouve dans le secteur. Il remettait les armes à Safkan, le responsable des armes au sein du YPG, qui les distribuait ensuite à différents points de la région.
AA : Quels sont les autres soutiens des Etats-Unis en dehors des armes ?
TS : Ils donnent des formations militaires. Ils ont créé un camp dans cet objectif. Il y aussi des centres de soins pour les blessés. Il y a des équipes médicales américaines et françaises. Par ailleurs, les Français ont proposé une formation de tireurs d’élite (snipers).
AA : Y-a-t-il eu un signal quant à un arrêt des aides américaines ?
TS : Selon les dernières déclarations américaines, les livraisons d’armes vont cesser. Mais ils (YPG) ont eu assez d’armes. L’argent qu’ils ont reçu est inimaginable.
AA : Est-ce que le PYD/PKK peut agir indépendamment des Etats-Unis ?
TS : Rien ne peut être fait sans l’aval des Américains, car l’aide vient des Etats-Unis, particulièrement l’aide aérienne. Mais les Américains savaient que Daech ne pouvait être vaincu sans opérations terrestres, tout le monde le savait.
AA : N’y-a-t-il pas de désaccords entre les cadres du PYD/PKK et les Américains ?
TS : Il n’y aucun désaccord. Car les deux parties sont alliés sur tous les sujets. Les Etats-Unis ont apporté un soutien militaire clair et sans limite aux FDS. Dans cette alliance, les FDS ou le PKK, avaient pour intérêt de prendre le contrôle de ces régions, ils l’ont fait. Sans les Etats-Unis, ce n’était pas possible.
AA : De quel ordre est la présence militaire américaine en Syrie ?
TS : D’après ce qu’on nous a dit lors des réunions, environ 2000 soldats américains se trouvent en Syrie. Il y a des formateurs, des conseillers ou encore des correspondants pour les opérations aériennes. Il y aussi aussi des marines et des membres des forces spéciales. Il y a aussi des soldats du Royaume-Uni, de France, et du Danemark, mais en nombre moins important.
AA : Quel est le poids de McGurk, Représentant spécial pour la lutte contre Daech, sur le terrain en Syrie ?
TS : Il est très influent depuis le début. Par exemple, lors de notre première réunion à Jalabiyah, nous avons parlé de la libération de Manbij. C’est lui qui a proposé cela. Il a dit qu’il fallait former un Conseil militaire pour la ville qui serait majoritairement composé d’Arabes, afin de convaincre la partie turque. Ainsi, nous avons fait croire que les combattants qui ont libéré Manbij étaient les « enfants » de la ville. La même proposition est venue pour Raqqa. Il parlait toujours de « convaincre la partie turque ». Pour cette raison, nous devions toujours donner l’image que les groupes sur le terrain étaient dominés par les Arabes. Dans le conseil militaire de Manbij, il y avait l’Unité Turkmène de Manbij, mais en réalité c’était une coquille vide. Moi-même, j’inventais les noms des groupes qui m’étaient attachés. Tout ça se faisait sur les ordres de McGurk.
Pour Raqqa aussi, il avait été déclaré que seule la Coalition Arabe allait intervenir. En réalité, il n’y a pas de Coalition arabe. Les politiques mises en pratique par Sahin Cilo dans les FDS étaient dictées par McGurk.
Quand Manbij a été libérée, nous avons publié une déclaration qui disait que les FDS ont libéré la ville, que les membres de l’YPG l’ont quittée et qu’elle a été confiée aux « enfants » de Manbij. Mais rien n’était vrai.
AA : L’accord entre le PYD/PKK et Daech à Raqqa a beaucoup fait parler de lui. Que s’est-il passé à Raqqa ?
TS : Les pourparlers pour Raqqa ont été assurés dans la base générale des FDS à Ayn Issa. Ils ont duré deux jours. Abu Muhammed (qui assurait les contacts avec Daech), Cilo et son adjoint Kahraman étaient présents. Daech n’avait pas d’autre possibilité que de se retirer à Deir ez-Zor. Les Etats-Unis semblaient accepter cela, car les FDS avaient ouvert deux fronts en même temps, à Raqqa et à Deir ez-Zor. Les combattants à Deir ez-Zor étaient plus faibles. Les Américains voulaient que les FDS atteignent la frontière irakienne avant l’arrivée des forces du régime (de Bachar al-Assad). Ils pensaient que les forces du régime arriveraient à Deir ez-Zor en 6 semaines. Mais leur avancée a été beaucoup plus rapide, les Etats-Unis ont demandé que des pourparlers entre les FDS et Daech débutent. Ainsi, les terroristes de Daech devaient quitter Raqqa pour se rendre à Bukemal (Deir ez-Zor) pour empêcher l’avancée du régime. Les discussions concernaient l’évacuation de 3500 terroristes et d’environ 500 femmes et enfants.
Les Etats-Unis et Cilo voulaient que ces terroristes arrivent à Deir ez-Zor avant le régime syrien, c’est pourquoi ceux qui quittaient Raqqa ne devaient pas être abattus. Le même jour, Cilo m’a demandé de me présenter à la presse et de « jouer une pièce de théâtre ».
Nous avons préparé la pièce de théâtre. Selon cette pièce, 275 terroristes syriens de Daech se rendaient aux FDS grâce aux interventions des tribus arabes de Raqqa. En contrepartie, 3500 civils étaient autorisés à quitter la ville. Dans cette pièce de théâtre (où personne ne s’est réellement rendu), ils ont fait venir 275 personnes depuis la base d’Ayn Issa.
Le deuxième scénario a été joué à la presse. Ils ont interdit l’accès de Raqqa aux journalistes. Ils ont prétendu qu’ils allaient combattre les terroristes de Daech qui ne voulaient pas quitter la ville. Mais en réalité ils n’ont pas tiré une seule balle. Pendant ce temps, les membres de Daech qui ont été évacués se sont rendus là où ils devaient aller. Après cela, nous avons déclaré que Raqqa a été prise. Nous avons appris plus tard qu’une partie des terroristes de Daech ont été corrompus pour aller ailleurs qu’à Deir ez-Zor. Un grand nombre est allé dans le secteur de l’opération Bouclier de l’Euphrate.
AA : Qu’avez-vous vu en entrant à Raqqa ?
TS : Raqqa n’a pas été libérée, elle a été détruite. J’y suis allé le jour où nous allions annoncer sa libération. J’ai été choqué par le degré de destruction de la ville. La cité a été détruite à plus de 95%.
L’objectif de la création des FDS était de libérer notre peuple et nos terres de la barbarie de Daech. Mais ce que j’ai vu, ça ne pouvait pas être une libération. Nous n’avions pas besoin de cela. La destruction est le résultat des agissements des deux parties. Les FDS ont détruit une partie mais les Etats-Unis ont détruit toute la ville. Je ne sais toujours pas pourquoi. Maintenant, l’Assemblée Civile de Raqqa sollicite la communauté internationale pour la reconstruction de la ville. Ils vont probablement s’enrichir sous prétexte de reconstruire la ville.
AA : Y-a-t-il eu d’autres exemples comme celui de Raqqa ?
TS : Raqqa n’est pas la première ville où un accord d’évacuation a été conclu avec Daech. C’est la troisième. Ils ont conclu ces accords avec les Etats-Unis et Cilo, le soi-disant commandant des FDS. Quand Manbij a été libérée, le Conseil militaire de Manbij a publié une déclaration : 2000 terroristes de Daech ont été évacués sous protection. Les FDS, les Etats-Unis et le Conseil de Manbij ont autorisé le départ des membres de Daech vers Jarablus. Ce fut le premier accord.
AA : Quel a été l’autre accord entre le PYD/PKK et Daech ?
TS : L’autre accord a été conclu à Tabka (sur l’Euphrate). La ville est coupée en deux : d’un côté le barrage et de l’autre les habitations (Sevre). Ils ont annoncé la libération de Tabka, mais en réalité Sevre n’avait pas été prise. Plusieurs opérations ont été des échecs. Abu Muhammed (qui a négocié pour Raqqa) est intervenu. Son beau-frère était un Emir de Daech à Tabka. Il a été chargé par les Etats-Unis et Cilo de négocier l’évacuation de 500 membres de Daech. Daech voulait que ses combattants puissent quitter Tabka librement et armés pour rejoindre Raqqa. Cilo a discuté avec les Américains et l’accord a été conclu.
AA : La Turquie avait proposé aux Etats-Unis de mener une opération commune pour libérer Raqqa. Les Etats-Unis ont-ils étudié cette proposition ?
TS : J’étais présent à la réunion à Jarablus où les Américains ont présenté la proposition faite par la Turquie. McGurk et le Sénateur américain John McCain étaient présents. McCain a expliqué que la Turquie a proposé d’ouvrir un corridor de 25 km depuis Tel Abyad pour faire avancer les combattants arabes et ses troupes vers Raqqa. La proposition de McCain n’était pas contraignante. Quand Cilo a compris cela, il a dit qu’il n’ouvrirait même pas un corridor de 25 cm pour la Turquie et ses alliés. McCain s’en est contenté. Ils ont ensuite parlé des demandes d’armes des FDS. McCain a renouvelé son soutien et a promis de nouvelles armes. Il a seulement refusé de fournir des missiles sol-air.
AA : Les Etats-Unis ont condamné l’affichage de portraits du chef du PKK Ocalan à Raqqa. Que s’est-il passé entre les différentes parties ?
TS : Pour ne pas attirer les foudres de la population, les Etats-Unis ont toujours mis en garde au sujet des posters. La partie kurde n’acceptait pas ces avertissements. Il y avait toujours des posters d’Ocalan même là où nous rencontrions les Américains. Il y en avait même lors de la réunion de fondation des FDS. Partout il y a les drapeaux du YPG et du YPJ, les drapeaux des FDS sont absents. Les Américains savent très bien avec qui ils collaborent.
AA : En contrepartie de ce soutien, les cadres de l’organisation terroriste n’ont-ils pas réclamé un soutien pour le PYD/PKK sur la scène internationale ?
TS : Quel autre soutien est-il possible ? Le PKK a besoin d’armes et d’argent. Les armes allaient des FDS au YPG, et du YPG au PKK. Pour cette raison, Cilo n’a pas besoin de demander des armes pour le PKK. Au bout de cycle, les armes arrivent au PKK.