Europe

L’Exode des cerveaux, une tragédie grecque des temps modernes

AA/Athènes

Neuf années de crise économique auront mis la Grèce à genoux, et les Grecs soucieux de pouvoir se relever, à défaut de pouvoir sauver un pays toujours menacé de naufrage, sont de plus en plus nombreux à quitter le navire dans l’espoir de meilleures perspectives d’avenir à l’étranger.

Le taux de chômage en Grèce s’est envolé ces dernières années en conséquence de la crise économique, passant de 6,6% en mai 2008 à 24,1% en mars 2016, d’après l’Autorité hellénique des statistiques.

De nombreux professionnels, particulièrement les plus jeunes, se sont ainsi décidés à quitter le pays. Une étude récente menée pour la London School of Economics par deux experts grecs en géographie économique, Manolis Pratsinakis et Lois Labrianidis, montrent qu’une famille grecque sur 18 a un membre qui a quitté le pays après 2010.

Le « néo-migrant » grec est décrit comme un professionnel d’environ 30 ans, hautement qualifié et émigrant pour des raisons majoritairement financières.

« Partir vivre à l’étranger est peut-être la meilleure chose à faire à un niveau personnel. Ce n’est pas un problème pour ces jeunes scientifiques, mais ça l’est pour l’Etat », a noté Lambrianidis dans une interview téléphonique avec l’Agence Anadolu (AA).

La moitié des migrants ayant quitté le pays après 2010 étaient en situation de chômage. Trouver de meilleures conditions de travail et des perspectives prometteuses, ainsi qu’une stabilité, motive 80 % des émigrants tournés vers l’Europe.

La moitié d’entre eux se dirigent en particulier vers le Royaume-Uni et l’Allemagne. Fait relativement nouveau,  12% de cette nouvelle génération d’émigrants sont âgés de plus de 40 ans, cas sans précédent dans l’histoire de l’émigration en Grèce.

En outre, la vaste majorité des émigrants n’envoient ni ne reçoivent d’argent de leur pays d’origine.  En ce sens, ils se contentent principalement de subvenir à leurs besoins, au contraire des précédentes vagues d’émigrés.

Les temps ne sont plus les mêmes et la vie à l’étranger est loin d’être idéale pour eux. Les difficultés font surface dès qu’ils s’installent dans le pays d’accueil, mais également tout au long de leur parcours, en raison de la détérioration du marché du travail dans toute l’Europe.  Discrimination et accueil peu chaleureux leur sont souvent réservés.

« Il faut garder les oreilles  et les yeux grands ouverts », estime Stefanos Koutsardakis, 35 ans, attablé à un café de Kreuzberg, à Berlin.

Le dynamique Stefanos s’est décidé à faire le grand pas et à chercher fortune comme ingénieur civil, deux ans auparavant. Il ne perd, néanmoins, pas de vue les difficultés auxquelles doivent se préparer les immigrants. « Il ne faut pas perdre son sang-froid et être un tantinet circonspect face aux anciennes générations d’immigrants. On rencontre des personnes de différentes cultures et mentalités », a-t-il confié.

La nouvelle expérience d’immigration en Allemagne d’Anna Petroulaki, jeune journaliste multimédia de 30 ans, a jusque-là été positive.

« J’étais persuadée de trouver en Allemagne de meilleurs conditions de travail que dans mon pays natal, bien que cela ait été difficile de chercher du travail et d’étudier l’allemand en parallèle. Mais j’ai été chanceuse et en quelques mois j’ai trouvé un emploi pile dans mes cordes ».

Les circonstances se sont révélées plus ardues pour Sinodis Taptas, traducteur et enseignant en langue grecque de 37 ans. En 2015, il décide « d’échapper à la crise faisant rage pour la cinquième année consécutive dans [son] pays, pour l’Allemagne, pays dans lequel [il] a passé une bonne partie de [son] enfance ».

Quelques mois plus tard, il rebrousse chemin, expliquant : « j’ai rapidement découvert que l’Etat allemand ne soutient plus les immigrants de l’Union européenne (UE) et interfère même dans le marché du travail par des manières qui réduisent considérablement les opportunités d’emploi pour les immigrants diplômés ».

L’exode des jeunes diplômés est, au demeurant, un signe : la Grèce est au creux de la vague et vit sa tragédie des temps modernes, étant progressivement dépouillée de  ses cerveaux, somme toute, de sa sève précieuse.

Quel plan d’action pour reprendre du poil de la bête et stopper l’hémorragie ?

« Nous aurions besoin d’une économie générant des produits complexes pour les diplômés, cela pourrait convaincre certains d’entre eux à retourner au pays. La Grèce doit jouer un meilleur rôle dans la division internationale du travail et être plus compétitive » estime Lambrianidis.

« Mais cela n’arrivera pas dans un avenir proche » déplore le chercheur en géographie économique, « un autre moyen serait d’utiliser au mieux ce capital humain, en facilitant de toutes les façons possibles la possibilité de travailler par intermittence en Grèce. Cela permettrait le transfert des idées, des connaissances et de l’expertise à travers des partenariats efficients avec les universités, les centres de recherches, et par les entreprises privées et les projets de particuliers ».

A ce propos, la porte-parole du gouvernement grec, Olga Gerovasili,  a souligné, la semaine dernière, que 80% des termes du dernier accord de plan de sauvetage financier ont été remplis et que des prêts à décaissements en début de période sont maintenant injectés dans l’économie réelle.

« Cela aidera à inverser le climat économique de la seconde partie de l’année 2016 » espère la porte-parole, ajoutant que cette nouvelle conjoncture donnera les moyens au gouvernement grec de se concentrer sur la vie quotidienne de ses citoyens et de s’atteler à combattre le « Grand ennemi », à savoir le chômage.

Les émigrants sont néanmoins loin d’être optimistes. « Je crains que le peuple grec n’ait à faire face à beaucoup plus de difficultés encore, avant de pouvoir se remettre sur pied. Il est cependant essentiel de travailler sur les causes profondes de la crise et de ne pas céder à la tentation de se blâmer les uns les autres » conclut la jeune expatriée Anna Petroulaki.