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L’ONU, cette « otage des grandes puissances »

Le système onusien, structuré autour de cinq membres permanents du Conseil de sécurité disposant du mécanisme du veto, qualifié d’ « entorse à la démocratie », a « dévié par rapport à sa vocation première » pour devenir « l’otage des grandes puissances », a déclaré dans un entretien avec Anadolu, Aminata Traore, ancienne ministre malienne de la Culture (1997-2000).

« Au début, on disait que l’absence des pays du Sud [en ne siégeant pas en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ndlr] s’expliquait par le fait que l’ONU a été créée bien avant les indépendances. Aujourd’hui, il n’est plus acceptable que quelques Etats [Etats-Unis, Russie, France, Chine et Grande-Bretagne] « disposent du droit de vie et de mort sur les autres », a dénoncé Traoré.

Pour l’ancienne ministre malienne, le droit de veto est d’autant plus « une entorse à la démocratie » que l’application des résolutions est loin de s’appliquer uniformément à tous les pays. Elle note, à ce propos, qu’un pays comme Israël comptabilise « des dizaines de résolutions qui ne sont jamais mises en application », et ce, en toute impunité. « Cependant quand il s’agit de petits Etats, notamment, africains qui font la sourde oreille pour une raison ou une autre, on leur rappelle, aussitôt, qu’ils n’ont pas respecté la résolution et qu’il s’agit, là, d’une faute et même d’un crime », a illustré l’auteure de « l’Afrique humiliée » (2008) et de « l’Afrique mutilée » (2012).

« Plus jamais ça », ont déclaré les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale, en 1945, en créant l’ONU. Il n’y a, visiblement, pas de guerre ouverte, face à face entre les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité qui, en plus du droit de veto, disposent de l’arme nucléaire. Mais c’est « toujours ça » en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine pour le contrôle des ressources naturelles. Comble de l’injustice, ce sont précisément des participants de ces régions au FSM 2016 qui se sont vus refuser le visa d’entrée au Canada », relevait l’ancienne ministre malienne dans une récente lettre adressée à Jean-Louis Roy, historien et diplomate canadien, un « ami » qui l’a soutenue au moment où son pays lui refusait le visa d’entrée pour participer au Forum social mondial (FSM) tenu du 9 au 14 août.

« J’ai peut-être eu tort de déclarer que le FSM de Montréal allait être l’un des temps forts du plaidoyer pour l’ONU des peuples que j’ai entrepris en annonçant ma candidature symbolique au poste de secrétaire général des Nations unies », a-t-elle écrit dans cette lettre dont Anadolu a eu copie.

S’étant « symboliquement » portée candidate au poste de Secrétaire Général des Nations unies, en juin dernier, Traore a expliqué que cette charge ne l’intéresse guère, en réalité, d’autant plus qu’elle ne prétendait pas remplir, contrairement à la douzaine de candidats en lice actuellement, le critère de parrainage régional exigé pour ce poste. « Il s’agit d’une étape de la dénonciation du système (..) une étape qui consiste à me saisir de la perche qu’on tend aujourd’hui aux femmes pour dire que je suis candidate, en précisant que c’est une posture de combat pour le monde meilleur que l’ONU avait promis au moment de sa création » en 1945, a-t-elle précisé.

Dès lors, cette démarche « citoyenne » ne visait qu’à alerter l’opinion sur le fonctionnement du système et ses défaillances, en provoquant un débat autour de l’ONU et de ses institutions. « Nous avons atteint une phase où l’évolution de la situation dans un pays comme le Mali, révèle clairement qu’il faut que les sociétés civiles regardent davantage ce qui se passe au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU (…). En Libye, par exemple, [l’opération militaire multinationale en 2011 sous l’égide des Nations unies], a provoqué le chaos à travers la prolifération des armes et la déstabilisation du Mali », a-t-elle illustré.

Partant de ce constat, l’ex-ministre malienne estime que « l’ONU est, aujourd’hui, l’otage des grandes puissances » rappelant que le Quai d’Orsay avait reconnu que 80 % des résolutions du Conseil de sécurité émanaient de la Grande Bretagne et de la France.

« Tout est habillé par la notion de communauté internationale, et c’est très grave parce que dès qu’on dit communauté internationale on baisse la garde, on prétend que cette communauté internationale nous représente tous alors qu’en réalité ce sont cinq nations qui décident pour les 188 autres en vertu du droit de veto. La réforme de l’ONU pour revoir la structure du Conseil de sécurité doit être évoquée », relève-t-elle encore.

Certes, « le djihadisme observé notamment dans la bande sahélo-saharienne est un vrai problème à résoudre en urgence et l’échec n’incombe pas entièrement à l’ONU », Traoré reste, toutefois, convaincue que « la mission première de l’ONU n’était, certainement, pas ce type d’interventions militaires ».

L’ancienne ministre malienne rappelle, à cet effet, que le nombre de Casques bleus déployés dans le monde a triplé durant les 15 dernières années, passant de 40 à 105 mille entre 2000 et 2015 avec plus de 60% de ces soldats en Afrique où « la paix est d’emblée hypothéquée par le développement extraverti et compromis par le jeu des intérêts étrangers ».

« A ce jour, nous avions surtout conscience des conséquences des politiques néo-libérales imposées dans nos pays, à travers l’intervention des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI), et je me rends compte, aujourd’hui, que la tâche sera inachevée, si nous nous tenons à la dénonciation des institutions financières en ignorant le bras militaire de la domination qui est en train de se déployer aujourd’hui », a conclu Aminata Traore. AA