AgendaBelgiqueCulturesNon classifié(e)

Maître Sevda Karsikaya : « La diversité au barreau peut apporter des avantages tant aux avocats qu’aux magistrats. »

La Manchette : Maître, pouvez-vous nous expliquer le projet dans lequel vous vous impliquez énormément au Barreau de Bruxelles ?

Maître Sevda Karsikaya : Il s’agit d’un projet destiné à attirer les élèves d’origine étrangère de dernière année secondaire qui ressentent certaines réticences à entamer des études de droits.

Par ailleurs, on peut constater à travers les statistiques que le taux de participation par les immigrés aux études de droit est très peu élevé par rapport aux belges de souche.

Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’avocats d’origine étrangère (turque, marocaine ou autres) au barreau néerlandophone de Bruxelles. Le pourcentage de ces avocats est minime (0,5 %  suivant une enquête de l’Ordre des barreaux néerlandophone en Belgique en 2007)

Le barreau ne reflète actuellement pas la société  qui est diversifiée.  Le barreau néerlandophone de Bruxelles souhaite, avec ce projet, obtenir plus de diversité.  La  diversité au barreau peut apporter des avantages tant  aux  avocats qu’aux magistrats.

La Manchette : Y a-t-il une différence à faire parmi les immigrés d’origine turque et ceux d’origine marocaine en termes de participation aux études de droit ?

Maître Sevda Karsikaya : Cela dépend. Nous avons à Bruxelles le barreau francophone et néerlandophone. Il y a effectivement plus d’avocats d’origine maghrébine au barreau francophone qu’au barreau néerlandophone de Bruxelles.

Par exemple, je suis bilingue donc le problème ne se pose par pour moi. Nonobstant le fait que je suis au barreau néerlandophone, je plaide des affaires dans les deux langues et ce dans toute la Belgique par ailleurs. Il s’agit là effectivement d’un avantage.

Pour en revenir au sujet, ce que je remarque à travers mes parrainages, c’est que chez les élèves de dernière année, il y a des clichés par rapport aux études de droits. En effet, des études longues et difficiles induisent fatalement une image dommageable. Cela véhicule auprès des élèves, qui souhaitent faire des études supérieures, une réticence.

Les écoles jouent un rôle important dans ce processus et sont le maillon indispensable pour encourager les jeunes ayant les capacités de faire des études supérieures.

Les élèves d’origine étrangère ont peur que le métier d’avocat soit trop difficile pour eux et ne sentent pas capables de l’exercer.  L’école joue un rôle important ici.  Les enseignants dirigent facilement et injustement les élèves vers des écoles techniques ou métiers.  Il est alors difficile dans ces conditions, pour ces élèves, d’envisager de se diriger vers le barreau.

Il y a donc là un découragement inhérent à la nationalité de l’étudiant qui ne reçoit pas l’assentiment de ses parents pour entamer ces études de droit.

Le projet auquel nous nous attachons en tant qu’avocat vise à s’adresser de prime abord aux écoles. Il s’agit en effet d’expliquer le projet à la direction des écoles visées et de recenser avec celles-ci les élèves qui souhaiteraient par la suite faire ces études de droit.

Par la suite, un groupement sera constitué pour leur faire visiter une faculté de droit, ensuite le palais de justice et enfin un bureau d’avocat. Cela leur permettra d’avoir une vision avec les acteurs principaux du terrain juridique et se forger une idée de la direction dans laquelle ils vont s’engager. Mais il faut savoir aussi qu’on parle évidemment d’études dans lesquelles l’assiduité et la capacité est de rigueur. Il ne s’agit pas malgré tout d’une histoire récréative.

En outre, cela permettra aux élèves d’autoévaluer leur motivation et leur capacité à se lancer dans des études qui risquent d’être parfois très longues. La consécration de ces études aboutit à un stage auprès d’un avocat et finalement avoir la possibilité de plaider en tant qu’avocat. Tout ceci s’effectuera avec une collaboration stricto sensu des écoles qui voudront participer à ce projet.

Structurellement, ce projet est chapeauté par le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau néerlandophone de Bruxelles et des écoles de manière générale. Pour l’instant, le projet pilote est exécuté avec les écoles néerlandophones.

Il est aussi important de souligner qu’un avocat désigné (mentor) pourra également donner un avis aux élèves désireux de vouloir faire du droit en les conseillant sur les points faibles à devoir améliorer ou parfois même à remettre en cause les capacités d’un élève à propos de son désir d’entamer des études de droits.

Je pense qu’il y a très certainement une guidance des parents qui doivent prendre en charge cet aspect très important de l’enfant.

La Manchette : Quelles sont, selon vous, les communes qui sont les plus problématiques par rapport à cette guidance des parents, parle-t-on ici d’écoles à discrimination positive comme on connaît actuellement ici à Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode donc les communes, de manière générale, à forte densité immigrée ou de manière générale à toutes les communes sans distinction ?

Maître Sevda Karsikaya : Je ne pourrais pas faire de distinction entre les écoles. Il s’agit vraiment d’un problème général. On sous-estime beaucoup les élèves d’origine étrangère. On pense d’emblée qu’ils ne sont pas capables de faire des études universitaires, mais pourtant ils ont la capacité et la chance de pouvoir essayer.

La Manchette : Par rapport à vous, on comprend que vos parents ont été un modèle de guidance dans votre cursus universitaire ?

Maître Sevda Karsikaya : Oui, je suis très fière de mon père qui est venu ici à l’âge de 14 ans. Le rêve de mon père était de faire des études supérieures en Turquie mais comme mon grand-père était venu en Belgique, il a dû le suivre. Il a dû donc à contrecœur arrêter ses études. Et ici, il a terminé ses études secondaires avec une grande distinction. Par ailleurs, je garde toujours son bulletin en souvenir. C’est une fierté pour moi. Le directeur appréciait beaucoup mon père qui était un bon élève et par ailleurs motivé.

La Manchette Y a-t-il une collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Maître Sevda Karsikaya : Non. Il s’agit bien ici d’une initiative du barreau néerlandophone de Bruxelles.

Mais leur soutien ou leur collaboration est évidemment la bienvenue.

La Manchette : De combien d’avocats est composée l’équipe qui prendra en charge les élèves ?

Maître Sevda Karsikaya : Une proportionnalité élèves-avocats sera appliquée. Des groupes sont formés par rapport aux participants. Et un parrainage avocat-élève s’effectuera. Cela permettra par exemple à un élève de contacter l’avocat-parrain à tout moment lequel lui fournira au fur et à mesure les réponses nécessaires pour avancer dans ses études. L’avocat sera présent pour compléter la motivation fournie par les parents de l’étudiant. On n’est pas là pour remplacer le pilier parental mais seulement de pouvoir apporter une aide technique, structurelle et méthodologique à l’étudiant et de le motiver à faire des études de droit pour devenir avocat au barreau de Bruxelles.

En outre, on insiste aussi fortement sur les avantages liés au multilinguisme même pour un avocat.

La Manchette : En combien de langues plaidez-vous actuellement ?

Maître Sevda Karsikaya : En français et en néerlandais. Ma langue maternelle est le turc, ce qui facilite aussi avec les échanges à propos d’un dossier avec ma clientèle turcophone.

A travers ce bagage linguistique, je plaide tant à Bruxelles, qu’en Flandres sans oublier la Wallonie.

La Manchette : Où est situé votre cabinet principal ?

Maître Sevda Karşikaya : A Bruxelles, 1030 Schaerbeek, sur la place Collignon au numéro 37. En vis-à-vis de la commune de Schaerbeek.

La Manchette : Depuis combien d’années faites-vous ce travail ?

Maître Sevda Karsikaya : Depuis 12 ans. J’ai donc actuellement mon propre cabinet. Mes matières en spécialité sont le droit pénal, le droit de la famille et le droit des étrangers.

J’essaie de donner un avis et de guider les gens autant que je peux, soit par avis simple ou soit par une procédure en justice.

La Manchette : Eprouvez-vous des difficultés à faire du pénal et du civil ?

Maître Sevda Kasikaya : On change souvent de camp en tant qu’avocat. On peut plaider tant pour un prévenu que dans une autre affaire en faveur de la partie civile.

Par exemple, la semaine prochaine, je dois plaider dans une affaire de meurtre où j’interviendrai pour la partie civile. Après cela, j’ai une autre affaire de meurtre où j’interviendrai en faveur du prévenu. Il s’agit d’une adaptation au dossier par rapport à la demande.

La Manchette : Etes-vous aussi l’avocate du Consulat Général de Turquie à Bruxelles ?

Maître Sevda Karşikaya : Effectivement, je suis aussi l’avocat du Consulat Général turc à Bruxelles. Au besoin, j’interviens aussi dans les dossiers du Consulat général turc.

La Manchette : Que pensez-vous de l’incident qui a eu lieu durant les votes du référendum ?

Maître Sevda Karsikaya : Il y a eu un incident, un seul fait unique durant les votes du référendum. Ce n’était pas à l’intérieur du Consulat mais un peu plus loin entre quelques individus. Il s’agit bien de faits qui se sont déroulés en dehors du Consulat et qui n’avaient donc rien à voir avec le Consulat Général.

Des faits, que l’on regrette, ne devaient pas avoir lieu mais une extrapolation de ce cas isolé serait absurde.

Erkan Ozdemir / La Manchette