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Schaerbeek : Il y a dix-huit ans, le racisme et l’extrême droite ont tué mes parents

Le 7 mai 2002, un jour de commémoration, un jour de rappel pour faire en sorte qu’une telle tragédie ne se reproduise plus. Ce jour-là le racisme a frappé la commune de Schaerbeek et marquera cette commune et ses habitants à jamais. Elle marquera surtout ma famille portant ce drame jusqu’au jour d’aujourd’hui.

Le racisme, l’extrême droite a tué mes parents, ISNASNI Ahmed (47 ans) et EL-HAJJI Habiba (45 ans). L’assassin qui était un sympathisant notoire du Vlaams Blok (devenu Vlaams Belang) avait une intention claire et n’avait pas agi sous le coup de la folie. Ce sont des idéologies dangereuses qui ont gagné son esprit pour commettre l’irréparable. Ce sont ces idéologies que l’on retrouve encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux, dans certains discours, lorsque les langues se délient résultant d’un racisme décomplexé.

Quelles leçons doit-on en tirer ? Quelle approche devrait-on avoir pour endiguer ce phénomène ? Après autant d’années, y a-t-il une réelle conscientisation sur ces questions ?

Encore aujourd’hui, il suffit que le moindre événement d’actualité impliquant des citoyens d’origines immigrées pour que les amalgames fusent. Les propos racistes et les idéologies de l’extrême-droite circulent en toute impunité et dans l’indifférence et la banalisation la plus totale.

Le 7 mai est un moment pour faire le bilan mais aussi pour la mémoire. Une mémoire que plusieurs générations de descendants d’immigrés, que des citoyens Belges continueront de porter pour ne jamais oublier. Ne jamais oublier qu’ils ont payé le prix fort dans les usines, dans les mines, sur les chantiers de bâtiments, faisant face à des conditions de travail difficiles, au racisme et à l’extrême droite pour construire ce pays qui est aussi le nôtre, qu’ils ont payé le prix fort en se battant pour obtenir des droits, pour être reconnus en tant que citoyensfaisant face aux discriminations et à l’exclusion, qu’ils ont payé le prix fort du sacrifice pour offrir un avenir digne à leur enfants, qu’ils ont payé le prix fort de leur vie pour qu’un jour Habiba et Ahmed se retrouvent sauvagement assassinés un 7 mai 2002.

Cette histoire, peu/ pas enseignée dans nos écoles, c’est NOTRE histoire. Elle fait partie de la mémoire collective de l’ensemble des citoyens belges.

A l’occasion de la 18ème commémoration de l’assassinat raciste de Habiba et Ahmed, j’annonce la création de la HABIBA-AHMED FOUNDATION (HAF) qui aura entre autres pour mission principale de porter cette mémoire pour les générations futures, de rappeler et honorer une mémoire collective inscrite dans l’histoire de la Belgique au nom de toute une génération de parents ayant tant sacrifié pour leur descendance qui font aussi la Belgique d’aujourd’hui.

L’année dernière, ce travail de mémoire a amené les citoyens Schaerbeekois à entamer des démarches auprès de la commune de Schaerbeek pour renommer une partie de la rue Vanderlinden aux prénoms de mes parents : Rue Habiba-Ahmed. Un an plus tard, je déplore la manière dont ce processus fut mené puisqu’une enquête de quartier a été faite sans en avoir informé le comité de citoyens à l’initiative de cette action.

Le comité et moi-même avions été très touchés par la volonté de Mr Clerfayt ainsi que les membres du Collège de soutenir et d’accompagner ensemble au mieux une telle initiative lors de notre interpellation citoyenne du 8 mai 2019 à la l’hôtel communalde Schaerbeek. L’idée avait été de porter cette initiative citoyenne pour rendre un hommage digne afin de transformer cette tragédie en un symbole rassembleur de paix.

C’est dans l’état d’esprit de confiance et de partenariat dans lequel cette démarche est entreprise que nous souhaiterions être impliqués dans ce processus. En effet, nous nous interrogeons sur la manière dont il est mené. Une telle démarche nécessite une collaboration dès le commencement et pas lorsque l’enquête de quartier auprès des habitants fut menée pour ensuite apprendre plusieurs mois plus tard et par hasard le résultat négatif de celle-ci sans avoir eu la possibilité de nous exprimer auprès des habitants.

Les échanges avec le cabinet de Mme Cécile Jodogne, entretemps devenue la Bourgmestre faisant fonction, ont été suspendus compte tenu de l’urgence de la crise sanitaire. Nous souhaitons bien évidemment continuer à envisager la suite des démarches dans un climat serein pour ainsi un jour voire une partie de la rue Vanderlinden honorée la mémoire de Habiba et Ahmed tués sauvagement.

Ne méritent-ils pas amplement cet hommage ?

En cette période de confinement, cette année nous ne pourrons pas nous rassembler et déposer une gerbe de fleur mais nous avons invité à participer à une commémoration digitale en adhérant à la page Facebook « En leur mémoire/ In their memory, El Hajji Habiba & Isnasni…, et en changeant l’image de profile par leur photos en utilisant les hashtags #7MAI121 #RueHabibaAhmed. Un geste pour se rappeler, pour commémorer toutes les victimes du racisme d’où qu’il vienne.

Kenza Isnasni